Le 30 septembre 2025, les États-Unis ont de nouveau sombré dans une crise institutionnelle majeure : l’incapacité du Sénat à voter un budget a provoqué la fermeture partielle du gouvernement fédéral. Dès le 1er octobre à minuit, des centaines de milliers de fonctionnaires ont été contraints de cesser leur travail, tandis que de nombreux services publics se sont retrouvés paralysés. Ce nouvel épisode de shutdown, le premier depuis celui de 2018-2019, met en lumière la polarisation politique extrême qui fragilise la gouvernance américaine et fait peser des risques considérables sur l’économie, les institutions et la confiance des citoyens dans leurs représentants.
Une crise budgétaire annoncée
Le blocage était redouté depuis plusieurs semaines. D’un côté, les républicains, majoritaires à la Chambre et influents au Sénat, défendaient une résolution dite “propre” qui visait à prolonger les financements actuels jusqu’au 21 novembre, sans ajouter de nouvelles dépenses. De l’autre, les démocrates, appuyés par l’administration, exigeaient d’inclure des dispositions sociales jugées essentielles : la prolongation des crédits d’impôt de l’Affordable Care Act (Obamacare), la restauration de subventions destinées aux familles modestes, ainsi qu’un rétablissement partiel des coupes opérées dans le programme Medicaid.
Le 30 septembre au soir, le Sénat s’est prononcé sur la proposition républicaine. Le texte a recueilli 55 voix, dont celles de trois sénateurs démocrates dissidents – Catherine Cortez-Masto, John Fetterman et Angus King. Mais il fallait 60 voix pour surmonter l’obstruction procédurale (filibuster). Résultat : l’échec des deux camps à s’accorder a précipité la fermeture du gouvernement.
Le mécanisme du shutdown
Aux États-Unis, le budget fédéral doit être renouvelé régulièrement par le Congrès. En l’absence de vote avant la date limite, les agences gouvernementales n’ont plus le droit de dépenser de fonds. Certaines fonctions “essentielles” sont maintenues – comme la sécurité nationale, l’armée, ou le contrôle aérien – mais de nombreux autres services sont suspendus. Ce système, inscrit dans la loi, fait du financement du gouvernement un instrument de pression politique redoutable. Depuis les années 1980, une vingtaine de shutdowns ont eu lieu, mais rarement d’une ampleur comparable à celui qui vient de commencer.
Des conséquences immédiates pour les fonctionnaires et les citoyens
L’impact humain est considérable. Entre 750 000 et 900 000 fonctionnaires fédéraux sont mis en congé forcé sans solde. Parmi eux, des chercheurs des Instituts nationaux de la santé (NIH), des agents du FBI, des employés des agences de régulation, mais aussi des travailleurs sociaux et administratifs. Même si une loi votée en 2019 garantit qu’ils recevront rétroactivement leur salaire, ce retard met de nombreuses familles en difficulté, notamment celles qui vivent de paie en paie.
D’autres employés, jugés indispensables, doivent continuer de travailler sans rémunération immédiate : militaires, contrôleurs aériens, gardes-frontières, douaniers ou agents de la TSA dans les aéroports. Cette situation crée un climat de frustration et de démotivation, accentué par l’incertitude quant à la durée du blocage.
Les services publics sont eux aussi durement touchés. Les parcs nationaux et musées fédéraux ferment leurs portes, privant les visiteurs d’accès et impactant l’économie locale. Les programmes sociaux subissent des interruptions : les aides alimentaires destinées aux femmes, aux nourrissons et aux enfants (WIC) pourraient être suspendues dès les prochaines semaines. Des retards sont également attendus dans le versement de certaines subventions fédérales, dans la délivrance de passeports ou encore dans le suivi de dossiers d’immigration.
Un coût économique élevé
Chaque jour de shutdown représente un coût colossal pour l’économie américaine. La Congressional Budget Office estime que plusieurs centaines de millions de dollars sont perdus quotidiennement, du fait des salaires différés, de la baisse de productivité et du ralentissement de la consommation. À long terme, si la crise devait durer, l’impact pourrait se chiffrer en dizaines de milliards de dollars, comme lors du shutdown record de 2018-2019, qui avait duré 35 jours.
Les marchés financiers observent la situation avec inquiétude. Si pour l’instant l’impact reste limité, une prolongation du blocage pourrait peser sur la confiance des investisseurs et raviver les craintes sur la stabilité budgétaire des États-Unis. L’image du pays comme modèle de gouvernance efficace est elle aussi ternie par ces impasses à répétition.

Un bras de fer politique aux relents électoraux
Au-delà des chiffres, c’est la dimension politique qui domine. Les républicains accusent les démocrates d’être responsables du shutdown en refusant un financement temporaire sans conditions. Ils estiment que la majorité présidentielle cherche à imposer des dépenses sociales irréalistes. À l’inverse, les démocrates accusent les républicains d’instrumentaliser le budget pour saboter des programmes vitaux, notamment en santé et en protection sociale.

Du côté démocrate, les déclarations sont sans appel. L’ancienne vice-présidente Kamala Harris a écrit sur X : « Let me be clear: Republicans are in charge of the White House, House, and Senate. This is their shutdown. » La sénatrice Patty Murray, vice-présidente de la commission des crédits, a martelé depuis le Capitole : « Make no mistake, our government has shut down because Republicans refuse to negotiate with Democrats and do their job. »
La sénatrice Kirsten Gillibrand de New York a ajouté : « J’appelle mes collègues républicains à venir à la table de négociation et à donner la priorité aux familles américaines plutôt qu’aux milliardaires. » De son côté, la représentante Jasmine Crockett (Texas) a dénoncé : « This is THEIR shutdown. They had every tool to govern and chose chaos instead. » Enfin, Jamie Raskin, figure de la commission judiciaire à la Chambre, a déclaré : « MAGA’s government shutdown was totally avoidable, and I will keep fighting hard to get government back open. »

Les leaders du parti, Hakeem Jeffries et Chuck Schumer, ont publié une déclaration commune affirmant : « Après des mois à compliquer la vie des Américains, Donald Trump et les républicains ont maintenant fermé le gouvernement fédéral parce qu’ils ne veulent pas protéger la santé de notre peuple. » Ils ont ajouté que les démocrates « restent prêts à trouver une voie bipartisane, mais nous avons besoin d’un partenaire crédible. »

Face à cela, les républicains redoublent d’attaques. Le président de la Chambre, Mike Johnson, a écrit : « Democrats have officially voted to CLOSE the government. Results: Moms and kids now lose WIC nutrition. Veterans lose health care and suicide prevention programs. FEMA has shortfalls during hurricane season. Soldiers and TSA agents go UNPAID. The only question now: How long will Chuck Schumer let this pain go on — for his own selfish reasons? »

Le site officiel de la Maison-Blanche affiche même désormais une horloge qui compte le temps du shutdown, accompagnée du message : « Democrats Have Shut Down the Government. »
Les républicains du Congrès ont aussi repris en chœur ce discours : « Democrats have officially shut down the federal government. They’re putting illegal aliens FIRST and hurting hardworking Americans in the process. »
La sénatrice Cynthia Lummis du Wyoming a conclu : « It’s time for Senate Democrats to stop these political games and join Republicans in doing the right thing for the American people by voting to keep our government and National Parks funded. »
Les enjeux institutionnels et stratégiques
Un shutdown donne aussi un pouvoir accru à l’exécutif. Le président détermine quelles fonctions sont “essentielles” et décide du maintien de certaines dépenses. Certains observateurs redoutent que cette latitude soit utilisée de manière stratégique, afin de favoriser certains programmes au détriment d’autres, voire de transformer des réductions temporaires en coupes irréversibles.
Du côté du Congrès, le shutdown est vu par certains républicains comme un moyen de forcer les démocrates à céder sur leurs priorités. Mais cette tactique est risquée : elle peut se retourner contre eux si l’opinion perçoit qu’ils sont les principaux responsables du blocage. L’histoire montre que les shutdowns prolongés nuisent presque toujours à la crédibilité des élus, quel que soit leur camp.
Une paralysie qui affaiblit la démocratie américaine
Ce nouvel épisode de fermeture du gouvernement illustre la fragilité du système politique américain face à la polarisation partisane. Dans un pays où les institutions reposent sur la recherche du compromis, l’incapacité à s’entendre sur le financement de base de l’État apparaît comme un signe de dysfonctionnement grave. Elle mine la confiance des citoyens, déjà ébranlée par les divisions politiques, et alimente le scepticisme à l’égard de Washington.
La répétition de ces crises budgétaires interroge également la capacité des États-Unis à maintenir leur rôle de puissance stable et fiable sur la scène internationale. À l’heure où le pays est confronté à des défis majeurs – rivalités géopolitiques, transition énergétique, inégalités sociales – ces blocages internes fragilisent sa cohérence et sa crédibilité.
Le shutdown déclenché le 1er octobre 2025 symbolise l’impasse d’un système politique américain prisonnier de ses divisions. Derrière les chiffres et les querelles partisanes, ce sont des centaines de milliers de familles, des millions d’usagers des services publics et l’économie nationale qui paient le prix d’une paralysie institutionnelle.
L’échec du Sénat à adopter un budget met en évidence l’urgence d’une réforme du processus budgétaire, afin de limiter l’usage récurrent du shutdown comme arme politique. En attendant, les États-Unis s’enfoncent dans une crise dont l’issue dépendra de la capacité de leurs dirigeants à renouer le dialogue et à assumer la responsabilité première de tout gouvernement : assurer la continuité de l’État.