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Une tournée stratégique annoncée dans le Nord : le Premier ministre célèbre le drapeau au Cap-Haïtien sous le sceau du dialogue et de la refondation républicaine

Dans une conjoncture marquée par une quête de légitimité, de sécurité et de reconstruction institutionnelle, le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé s’apprête à entamer une tournée officielle dans le département du Nord du 16 au 19 mai 2025. Cette visite coïncide avec la célébration de la fête du drapeau haïtien, prévue cette année au Cap-Haïtien, deuxième ville du pays et berceau historique de nombreux mouvements patriotiques.

Le 18 mai au Cap : un choix hautement politique

Le 18 mai, jour du drapeau, représente bien plus qu’un simple moment de commémoration symbolique. Il incarne la naissance du sentiment national haïtien, tel qu’initié par les précurseurs de l’indépendance à l’Arcahaie en 1803. C’est autour de cette date que le Premier ministre a choisi de concentrer une série d’activités politiques et citoyennes dans le Nord, afin de « mobiliser les forces vives de la région autour des priorités nationales ».

La tournée, selon la note conceptuelle émise par la Primature, s’inscrit dans une triple dynamique : renforcement du dialogue entre l’État central et les territoires, mobilisation citoyenne autour des réformes politiques clés, et promotion de la responsabilité collective dans la refondation de la République.

Des objectifs clairement établis

À travers ce déplacement, le chef du gouvernement entend s’investir personnellement dans la réactivation du pacte républicain mis à mal par des années d’instabilité. Trois priorités seront au cœur de ses messages :

  1. L’organisation d’élections libres, crédibles et inclusives,
  2. Le processus de référendum constitutionnel,
  3. Le rétablissement durable de la sécurité sur l’ensemble du territoire national.

Ces axes, présentés comme complémentaires, visent à donner une nouvelle orientation à la transition politique en cours. Le Premier ministre l’affirme : « C’est ensemble que nous devons reconstruire notre démocratie, restaurer la confiance, et refonder la République ».

Un programme de rencontres à fort impact symbolique

Durant les quatre jours de tournée, une série de rencontres stratégiques est annoncée, chacune ciblant un groupe clé de la société haïtienne :

Les jeunes, considérés comme le levier de changement. L’écoute de leurs aspirations, leur engagement citoyen et leur place dans la gouvernance seront au centre des échanges.

Les femmes, actrices essentielles de la cohésion sociale, seront rencontrées pour discuter de leur rôle dans la gouvernance locale et nationale, mais aussi des obstacles structurels à leur pleine participation.

Les membres du secteur privé, pour renforcer le dialogue public-privé et positionner l’investissement comme moteur de relance économique.

Les autorités locales (Maires, CASEC, Délégués), qui joueront un rôle décisif dans l’implémentation des politiques publiques au niveau territorial.

Les professeurs et éducateurs, dont le rôle dans la formation citoyenne est crucial en période de refondation.

Chaque rencontre prévue devra renforcer l’idée d’une gouvernance participative où l’État, la société civile et les collectivités territoriales assument ensemble la responsabilité du redressement national.

Un signal de proximité dans un contexte de distance État-population

Ce déplacement constitue une réponse aux critiques récurrentes sur l’éloignement du pouvoir central face aux réalités locales. La visite du Premier ministre dans le Nord vise justement à resserrer ce lien distendu. En allant directement au contact des citoyens, il espère bâtir un climat de confiance propice aux réformes à venir.

La tournée s’accompagnera également d’une série de discours et d’interventions dans les médias locaux, afin de partager largement la vision du gouvernement et d’impliquer les populations dans la transition.

Une célébration déplacée

Mais au-delà des objectifs affichés, le choix du Cap-Haïtien pour la célébration du 18 mai ne manque pas de faire réagir. Historiquement, cette fête nationale est célébrée à l’Arcahaie, lieu de naissance du drapeau haïtien. Cependant, l’insécurité persistante dans la région métropolitaine de Port-au-Prince a conduit les autorités à opter une fois de plus pour une célébration délocalisée.

Ce choix rappelle tristement le précédent de mai 2022, lorsque l’ancien Premier ministre Ariel Henry avait dû fuir l’Arcahaie sous haute tension sécuritaire, après avoir été empêché par des groupes armés de participer aux cérémonies officielles.

Trois ans plus tard, la même configuration semble se répéter. L’État continue d’éviter certains hauts lieux historiques à cause de l’emprise des gangs armés. Ce déplacement forcé de la mémoire nationale en dit long sur l’état de déliquescence du contrôle territorial en Haïti.

À quand la souveraineté sur nos lieux de mémoire ?

En filigrane, une question fondamentale hante les observateurs et les citoyens : à quand le retour des fêtes nationales dans les lieux symboliques qui leur sont historiquement associés ? Le 1er janvier 2025, jour de la fête de l’Indépendance, sera-t-il enfin célébré aux Gonaïves, ville des Héros, ou l’État sera-t-il contraint une nouvelle fois à des contournements géographiques dictés par la peur ?

On se souvient encore de la tentative manquée d’Ariel Henry aux Gonaïves en janvier 2022. Alors que la tradition républicaine voulait qu’il s’adresse à la nation depuis la Place d’Armes, il avait dû se précipiter hors des lieux sous les huées et les menaces, incapable même de prononcer son discours. Cette scène, captée par des caméras et largement diffusée, avait profondément choqué la population. Ce jour-là, c’est toute la solennité républicaine qui avait été bafouée, et l’image de l’autorité de l’État gravement écornée.

Une transition à l’épreuve du terrain

La tournée annoncée dans le Nord s’annonce donc comme un test majeur pour la crédibilité et la posture d’autorité du gouvernement actuel. Elle vise à faire ce que le régime précédent n’a pas su réaliser : aller au-devant du peuple, écouter, dialoguer et agir avec fermeté et transparence.

Mais elle devra aussi faire ses preuves face à une population désabusée, un tissu social fragilisé et des territoires encore trop souvent abandonnés à eux-mêmes. La parole gouvernementale ne pourra convaincre que si elle est suivie d’actes concrets.

En annonçant sa tournée dans le Nord à l’occasion de la fête du drapeau, le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé tente de conjuguer devoir de mémoire, communication stratégique et gouvernance de proximité. Il s’agit d’un acte politique fort dans un contexte où la reconquête de la confiance citoyenne est primordiale.

Cependant, le déplacement même de la fête du drapeau en dehors de son lieu d’origine rappelle cruellement que l’État haïtien est encore en exil sur une partie de son propre territoire. Tant que l’Arcahaie, les Gonaïves, et d’autres lieux sacrés de notre histoire ne pourront accueillir les cérémonies nationales sans peur, la République restera incomplète.

La population attend désormais de voir si ces promesses de refondation vont au-delà du symbolisme, pour réellement amorcer un nouveau cycle politique fondé sur la souveraineté, la sécurité, et le respect des valeurs fondatrices de la nation.

En somme, toute la République compte sur les efforts du Premier ministre : après la reprise partielle de Kenscoff, les citoyens espèrent voir tous les territoires reconquis, afin que les fêtes historiques soient célébrées dans leurs lieux respectifs. Ce serait la preuve tangible que le chef du gouvernement est véritablement l’homme de la situation, capable de restaurer l’autorité de l’État et de rendre aux symboles nationaux leur pleine signification.

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